Hey lovers,
La semaine dernière, je vous partageais une analyse macro du secteur du dating, en vous expliquant un point fondamental concernant ce marché : le désalignement des intérêts (si vous ne l’avez pas encore lue, la voici).
Et nous avons vu que c’était justement ce désalignement qui poussait les apps de dating à utiliser des techniques de manipulation psychologiques (les fameux dark-patterns) afin de vous détourner de votre objectif sentimental initial (trouver l’amour) sans que vous vous en rendiez compte et vous diriger vers le leur (rester inscrit le plus longtemps possible et donc maximiser leurs revenus).
En somme, ces dark-patterns sont cette multitude de pièges quasi invisibles dans lesquels vous tombez certainement et qui viennent pourrir votre expérience sur les apps.
Dans cette deuxième partie, nous allons donc apporter un peu de lumière sur ces sombres pratiques. Afin que dans cette jungle qu’est le dating, vous deveniez un véritable Indiana Loves.
2. Comprendre les techniques de manipulation des apps de dating a.k.a les dark-patterns.
Dark-pattern : le côté obscur de l’UX 🌘
Commençons par le commencement. Le terme UX (acronyme de l’anglais : User eXperience), expérience utilisateur en français, désigne la qualité de l’expérience vécue par l’utilisateur dans toute situation d’interaction.
Les prémices de l’UX design sont inventés dans les années 1940 au sein des usines Toyota après une étude sur l’interaction Homme-Machine. Le but : améliorer la productivité des employés, basée sur la compréhension (et la maîtrise) de leurs outils. Le terme UX, lui, est inventé en 1990 (avec l’arrivée du web) par Donald Norman.
En somme, l’UX est un équilibre entre design et ergonomie pour une utilisation simple d’un produit. Aujourd’hui, l’UX se réfère surtout au numérique : web, applications mobiles, interfaces interactives.
Les dark-patterns (stratagèmes obscurs en français) sont antagonistes à l’UX : ce sont des designs trompeurs utilisés sur le web afin de pousser l’utilisateur à entreprendre une action qu’il n’aurait pas forcément prise autrement. Ces designs sont basés sur des techniques de manipulation psychologiques, qui prennent racines dans nos biais psychologiques (j’y reviendrai par la suite).
S’ils prennent de nombreuses formes, leur but principal est de piéger le consommateur lors de l’utilisation d’un produit ou d’un site internet. Mais, précision importante : il ne s’agit pas d’un scam ou de pratiques illégales. Les dark-patterns n’ont pas pour vocation de vous voler vos numéros de votre carte de crédit mais de vous désorienter, de vous cacher des informations essentielles durant votre navigation, sur internet par exemple. On est donc dans une zone grise : ce n’est pas illégal mais sans aucun doute immoral (ou amoral, à vous de voir).
Ils sont de plus en plus utilisés dans le web, plus particulièrement par les acteurs dont tout le système repose sur notre attention (la fameuse économie de l’attention), tels que Facebook, Instagram, Netflix, Tiktok, Candycrush et…les apps de dating. Sans vous en rendre compte, vous êtes soumis à des dark-patterns des dizaines (si ce n’est des centaines) de fois par jour.
Afin que vous compreniez bien de quoi je parle, voici 2 exemples de dark-patterns que nous avons tous vu au moins une fois dans notre vie :
Le leurre de l’urgence par les agences de voyage :
Les sites de voyages regorgent de mentions inquiétantes laissant entendre que vous allez passer à côté de l’hôtel de vos rêves et gâcher vos vacances si vous ne vous dépêchez pas de sortir votre carte de crédit. “Forte demande !” “Plus qu’1 chambre disponible”. Ce dark-pattern joue sur un de nos biais cognitifs : celui d’avoir peur de perdre ou de manquer. Le but de cette manœuvre : créer chez vous un sentiment d’urgence afin que vous passiez rapidement à l’action.
La psychologie des couleurs par Facebook
Tout le système de Facebook repose sur l’affichage et le partage de nos informations : sans cela, ce réseau social n’aurait aucun intérêt. Donc, quand vous souhaitez retirer des informations à votre sujet, autant vous dire que ça n’est pas dans l’intérêt de Facebook. Ils vont donc utiliser un dark-pattern pour tenter de vous faire changer d’avis : l’inversion des codes usuels des couleurs de boutons. Rien de bien méchant, mais le premier réflexe est de cliquer sur le bouton bleu pour valider. Erreur fatale ! Le bouton bleu vous fait annuler votre démarche. En plus de stopper net votre action initiale, Facebook vous fait passer inconsciemment un message : c’est mal de supprimer une information.
Les biais cognitifs
Les dark-patterns sont particulièrement efficaces sur nous car ils se basent sur des comportements déjà bien ancrés : les biais cognitifs. Sans eux, ils n’auraient aucun pouvoir.
Le concept de biais cognitif est apparu dans les années 1970. Daniel Kahneman et Amos Tversky, psychologues, étudiaient alors les prises de décision irrationnelles dans le domaine de l’économie.
Ces recherches les ont menés sur le terrain des biais cognitifs, un mécanisme de pensée généralement inconscient qui altère le jugement. Véritables distorsions dans le traitement de l’information, ces biais influencent nos choix, d’autant plus quand nous sommes confrontés à une grande quantité de données ou que notre temps de réflexion est restreint (ce qui est totalement le cas de nos jours quand on va sur le web ou sur une app de dating).
Certains d’entre eux remontent à la préhistoire : ils jouaient alors un rôle dans la survie de l’homme au sein de son habitat naturel parfois hostile. On peut donc dire qu’ils sont le fruit de l’évolution et de la sélection naturelle.
Les biais cognitifs font l’objet de nombreuses études dans différents domaines comme la psychologie cognitive et la psychologie sociale. C’est ce qui a permis leur référencement et leur classement. On en recense 250. En voici quelques-uns :
L'effet Ikea, appelé aussi effet de possession, est un biais cognitif dans lequel les consommateurs accordent une valeur disproportionnée aux produits qu'ils ont partiellement créés. Concrètement, plus on alloue de temps et d’énergie à quelque chose et plus on se prend d’affection pour l’objet de notre labeur : le travail mène à l’amour ! Exemple : à chaque fois qu’un utilisateur de Spotify ajoute un morceau à une playlist, il renforce les liens qui l’unissent à la plateforme.
Le biais de confirmation est la tendance, très commune, à ne rechercher et ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent. C’est d’ailleurs un biais que Facebook a pris en considération dans son algorithme : si vous likez un certain type de contenu, Facebook vous en présentera par la suite des similaires. C’est d’ailleurs ce système qui a été à l’origine de l’explosion des fakes news sur Facebook.
Le biais du statu quo affecte la façon dont on se représente le changement. Nous avons tendance à percevoir toute nouveauté comme engendrant plus de risques que d’avantages. Conserver les choses en l’état nous semble donc souvent la meilleure option. Ce biais cognitif est étudié en psychologie économique, mais on peut l’observer dans bien d’autres domaines. Exemple : en novembre 2017, Snapchat a lancé une nouvelle version de son application avec un design remanié en profondeur. L’un des objectifs de cette refonte était de simplifier l’application. Contre toute attente, ces changements sans doute trop radicaux ont été mal accueillis par de nombreux utilisateurs attachés à l’ancienne interface. Résultat : Snapchat a perdu de nombreux utilisateurs suite à ce changement.
Le biais de l'effet barnum (ou effet Forer) consiste à accepter une vague description de la personnalité comme s'appliquant spécifiquement à soi-même. Les horoscopes jouent à fond la dessus.
Pour aller plus loin, la liste quasi complète des biais cognitifs est disponible ici.
Dark-patterns dans les apps de dating
Pour parler des dark-patterns des apps de dating, je vais me baser uniquement sur l’application Tinder. Pourquoi ? Car c’est celle qui est la plus forte à ce petit jeu là, et que tous les autres services de rencontre n’ont fait par la suite que la copier (Bumble, Badoo, Meetic). À vrai dire, Tinder n’a pas été copié uniquement dans le monde du dating mais dans de très nombreux secteurs : on retrouve désormais le fameux swipe à peu près partout.
On peut le dire, dans le monde des dark-patterns, Tinder c’est clairement Dark Vador. Les dark-patterns inventés par Tinder sont à la fois super puissants et très subtils.
Tinder 🔥
Avant de commencer, il est important de faire un petit tour du propriétaire. Tinder repose sur 4 grandes fonctionnalités :
PS : oui, je me suis créé un compte pour l’occasion, sorry Agathe.
Mon profil : c’est là où vous pouvez créer et modifier votre profil (fonctionnalité gratuite) ;
Le swipe : c’est là où vous pouvez découvrir les profils des autres inscrits et montrer votre intérêt (fonctionnalité gratuite) ;
Les matchs : c’est là où vous pouvez discuter avec les personnes qui vous ont liké et que vous avez liké (=match), condition sine qua non pour être autorisé à échanger (fonctionnalité gratuite) ;
Les likes : c’est là où vous pouvez voir en amont les profils qui vous ont liké, sans avoir à swiper (fonctionnalité payante) ;
La grosse révolution de Tinder, c’est le Swipe (qui est aussi sa principale fonctionnalité). C’est cette manière de présenter les profils, les uns après les autres et de pouvoir les faire glisser avec son pouce vers la droite ou la gauche pour montrer son intérêt ou désintérêt.
À priori anodine, cette fonctionnalité est un chef d’oeuvre d’assemblage de dark-patterns. Chaque pixel et chaque action ont été pensés dans le moindre détail pour que vous vous retrouviez pris dans un engrenage duquel vous n’aurez même plus envie de sortir à terme.
Dark pattern #1 : La récompense esthétique aléatoire 🎁
Les premières secondes d’utilisation d’une application (quelle qu’elle soit) sont primordiales. Et ça, Tinder le sait mieux que quiconque.
Que ce soit à l’issue de votre première inscription ou à chaque fois que vous retournerez sur l’application par la suite, quel est le première élément sur lequel vous tomberez, irrémédiablement ?
→ Une photo. Mais pas n’importe quelle photo : une photo d’une personne attirante.
Oui, le premier profil que vous verrez lors d’une phase d’usage sera, quasiment tout le temps, un profil qui vous fera de l’effet. Pensez-vous que cela est le fruit du hasard ? Non, d’un savant calcul.
Tinder joue sur le fait que notre cerveau ne peut pas s’empêcher d’évaluer le degré esthétique d’une personne que l’on voit. C’est normal : notre cerveau, depuis des millénaires, est entrainé à identifier en un temps record le ou la reproductrice idéale. Sur Tinder, c’est pareil : si une personne nous plait, cela va activer en nous le circuit de la récompense esthétique. Notre cerveau est paramétré pour repérer et se rapprocher de ce qui est beau, qu’on le veuille ou non. Et quand nous le trouvons, c’est pour nous une récompense. Et qui dit récompense, dit dopamine.
C’est pour cette raison que :
dès que vous vous (re)connectez à Tinder, la première chose que vous verrez est une photo (et non pas vos discussions en cours par exemple, ce qui aurait plus de sens si Tinder voulait vraiment que vous fassiez des rencontres) ;
que cette photo présentera quasiment tout le temps une personne jugée attirante ;
que cette photo prend 90% de la place de votre écran, pour être certain que ça vous fasse un maximum d’effet ;
et que la photo est quasiment la seule information présentée (avec le prénom, l’âge et la distance en bien plus petit en bas de l’écran). Tout le reste sera soigneusement caché plus bas, comme par exemple le but de sa recherche (alors que c’est un élément central pour la majorité des utilisateurs) ;
Je me suis amusé à recréer cette expérience en me connectant et en quittant l’application 4 fois d’affilé. Regardez par vous-même :
À la récompense esthétique est ajouté un côté aléatoire. Et vous obtenez la version ultime : la récompense esthétique aléatoire.
C’est exactement comme si à chaque fois que vous ouvrez votre frigo, vous trouviez un plat différent que vous adorez. N’auriez-vous pas envie d’ouvrir la porte en permanence ?
En somme, à chaque session d’utilisation et dès les premières secondes, Tinder nous “éduque”, en nous faisant comprendre qu’à chaque nouvelle connexion, on aura une récompense esthétique différente, et que donc “se connecter sur Tinder, c’est super chouette!”.
Répétez cette action quelques fois, et elle deviendra un réflexe inconscient. Ce type de réflexe qui vous poussera à ouvrir l’application sans même vous en rendre compte (c’est exactement cette même mécanique qui fait qu’on se retrouve à ouvrir Instagram inconsciemment, car on y trouve à chaque fois quelque chose de nouveau).
Il n’aura fallu que quelques secondes à Tinder pour commencer à hacker votre cerveau. Et ce n’est que le début.
Comment éviter de tomber dans ce piège ?
Avoir conscience de ce piège lors de vos sessions d’usage ;
Savoir où le piège se situe, c’est pouvoir l’éviter. Donc s’il faut que vous relisiez 3 fois cette newsletter pour être certain d’avoir bien compris la mécanique ou que vous fassiez vos propres recherches en parallèle, je vous conseille fortement de le faire. Si vous souhaitez allez plus loin sur cette méthode, lisez la bible des dark-patterns : Hooked.
Supprimer l’affichage de l’application sur votre smartphone ainsi que les notifications pour ne pas être tenté ;
Tous ces dark-patterns commencent systématiquement avec un “déclencheur” : une notification de la part de l’application, ou simplement le fait de voir le logo rouge de Tinder sur votre téléphone en font partis. Les couper à la source, c’est réduire les chances de se faire avoir.
Se connecter maximum 3 fois par jour sur l’application ;
En coupant les notifications, vous ne serez plus en “réaction” mais en “action”. Soyez maitre des moments où vous décidez de vous rendre sur l’application. Mettez en place une routine à laquelle vous essayez de vous tenir avec discipline.
Tournez 7 fois votre pouce avant de liker ;
Prenez votre temps, allez à votre rythme, ne vous pressez pas. Tout dans Tinder (et les autres apps) a été pensé pour que vous ayez un sentiment d’urgence en vous. N’y cédez pas.
Ne likez pas le premier profil que vous voyez ;
Ce fameux premier profil dont je vous parlais ci-dessus…hé bien il y a une chose que j’ai oublié de vous dire (et c’est le clou du spectacle) : même si vous le likez, dites-vous qu’il y a 1% de chance que cette personne voit le vôtre en retour. Tinder se sert de ce profil comme d’une véritable technique d’hameçonnage. Ne pas le likez n’aura pas trop d’impact sur la suite de votre usage, mais disons que c’est un petit pied de nez fait à Tinder (et une manière aussi d’auto-éduquer votre cerveau au fait que c’est un piège).
Bon, il y a encore des dizaines et des dizaines de dark-patterns à analyser (classement ELO, récompense aléatoire, ordre de distribution des profils, enivrement des premiers jours, frustration du 15eme jour), mais cette newsletter est déjà suffisamment longue 😅.
Je continuerai dans les prochaines newsletter à décortiquer des dark-patterns que l’on retrouve sur les grandes apps de dating. Enfin, si cela vous plait ? Dites-le moi dans le sondage ci-dessous 👇
PS 1 : les podcasts font leur grand retour dans la prochaine newsletter…et ça devrait vous plaire !
PS 2 : comme vous l’avez compris, j’ai téléchargé Tinder pour cette newsletter. J’ai donc commencé la suppression de mon compte, et j’avais oublié que même pour cette étape, ils mettaient en place un dark-pattern pour faire en sorte de nous faire regretter la suppression de notre compte et surtout, la rendre complexe. L’objectif est toujours le même : tout faire pour nous retenir. Regardez par vous-même :
Pour aller plus loin 🚀 :
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Encore merci Antoine pour cette analyse.
Bref pour aller sur ces sites il faut être bien préparé et ..arme!!!!